Monday, October 1, 2007

Olivier Arezki

Né en 1972 à Paris . Etudes de Lettres Modernes à la Sorbonne. A fondé la
revue de l'association Oniropolis avec Fabrice Charbit (qui continue à faire
des festivals de spectacles poétiques: La Cité des Plumes ); rédaction de
textes "coups de coeur" (sur Djuna Barnes , Dorothy Parker...) pour la revue
Calamar. Certains de ses textes (poésie ou nouvelles) ont été publiés dans les re-
vues suivantes: Le Matricule des Anges, Libelle, Oniropolis, Jardin d'essai,
Exit, Coup de Soleil, Les Cahiers du Détour , etc

Déserts romains

A P.P. Pasolini
Les débris vivants de ta mémoire
sont dispersés dans des caves
disposés devant des miroirs
autour des cours d'immeubles.
Ce sont des multitudes de parcelles
de petits amoncellements
de déserts en pleine ville.
Tu marches dans cette ville
que tu façonnes et recrées
à ta guise.
Et toujours tu marches
dans cette Rome morte.
Quand tu arpentes ses périphéries
les campagnes timides et austères
se retournent à peine sur ton passage.
Pourquoi fuis-tu quand la lune t'interpelle ?
Tu danses tranquillement
sur les braises de l'ennui, puis tu t'endors.
Dors paisiblement, fils de louve.
Allonge-toi près de l'autoroute déserte.
Tes lendemains seront calmes,
aussi doux qu'un rire ou un linge clair.


Ombres projetées sur une femme sous influence


Les cabarets new-yorkais
ne distillaient plus
leurs lumières rutilantes
sur les costards élimés
de vieux crooners en fuite.
Le cri des saxophones ne s'effaçait pas
ni la caresse les soubresauts
-on les avait juste relégués-
dans les caves et les sous-sols
de la ville tentacule.
Le bavardage des voitures
se prolongeait jusqu'aux prémisses
d'une aube allongée sous la nuit au sec gosier.
Une nuit toujours pleine de klaxons
de confessions d'aveux chuchotés
entre le comptoir d'un bar
et la scène d'un club de jazz étincelant
revigoré vivifiant tonique.
Un frère perdait son cadet
juste avant minuit
avant de retrouver une ancienne amie
la chère Gloria
absente depuis plus de dix ans.
Un musicien demi-solde de vos espoirs déchus
Se déhanchait dansait
Sur les vestiges d'une vie consommée
Plus vite qu'une blonde cigarette
Sur une improvisation de Charlie Parker
de Charles Mingus de vous-même
toujours trop courte...
Elle sortait de l'asile
comme Charlie justement
cet autre roi déchu devenu demi-solde
Après s'être vendu à la nuit.
Les yeux défaits virevoltants
les cheveux noués
Inextricables brusquement
haletants
relâchés sur une vie nouvelle
précieuse
à parfaire
continuer
refaire de A à Z
à recomposer sur des gammes insolites
chatouillant des notes audacieuses.
Quand Gloria est entrée
à sa rencontre
Les portes du cabaret fermé se sont ouvertes
pour ne plus se fermer.
Le flambeau est resté posé près de l'entrée
n'importe qui peut venir le ramasser.

Variation sur un film d'Antonioni

Je te vois disparaître
à l'angle d'une rue hantée par
aucune personne
bâtie sur un ancien sentier désertique
il me semble que l'asphalte se souvient
qu'il n'a jamais rien été d'autre...
Ton rouge à lèvre coule
sur un réverbère hautain
il vient se figer et empourpre
le vent qui emporte tes cheveux
avant qu'ils ne viennent se figer
en haut des marronniers
aux bras contorsionnés
comme de maigres girouettes désaxées
Mais dis sommes-nous encore en plein centre de Milan
pas un klaxon ne vient réveiller
cette torpeur printanière qui glisse
devient une mélodie diaphane
étalée sur plusieurs jours
belle et monotone à force
pas un sanglot ni le moindre frémissement
par ici
les parcs sont des cimetières
les parkings des auberges abandonnées
régnant sur les avenues
ces vallées étroites aux roches métalliques
toujours aussi mal bétonnées
Sous un arbre à la nuit tombée
seuls tes cheveux s'élancent encore
autour des sapins
tu étais pourtant si vivante
quelques heures avant
plus vivante encore
que sous mon corps et mes caresses
d'un geste mal assuré,
je tente de caresser ton cou
ma main glisse sur ton dos
glisse
cascade continue
sur un parquet sans aspérités
un sol fendu comme ta jupe
celle où tes jambes se croisaient en me souriant
pendant que toi
tu continuais à me reprocher
mes lointains manquements
mes vains renoncements
depuis mon absence trop longue

Expériences visuelles

D'un geste lent mais décidé
J'ai chassé le soleil noir
Qui bavait sur mes journées d'attente
D'un simple haussement d'épaules
Je suis parti
Nu vêtu
d'un simple stylo bille
et d'une caméra Super 8
pour filmer les spasmes
de ta lassitude et de ta longue volupté


Le Western de l'Apocalypse

Pour Sam Peckinpah
Un mythe se défait
pendant que l'on écrit l'histoire
D'un lieu qui n'en a jamais possédé de véritable.
Reste le lent ressac de vagues envolées pleines de sable,
Projetées, enfouies,
sur le théâtre de la conquête de l'Ouest,
un écriteau : A vendre !
Seriez-vous preneur ?
Des desesperados aux formes évanescentes
Se regroupent, s'attroupent peu avant l'aube.
Leurs visages sont indistincts
Leurs silhouettes en tous points comparables
A celles qui habitent l'humanité fantomatique
des longues toiles du Greco.
Du sang, de l'alcool déjà frelaté,
Des outlaws et des danseuses
Aux regards également putassiers
Composent un ballet hypothétique
Une Apocalypse où tout finit par de la poussière.
L'unique étoffe du désert a défait les héros.
Reste un requiem sur lequel tu viens poser
Une étoile de shérif toute ébréchée. A Billy the Kid, Pat Garett a succédé